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Le « principe de responsabilité » selon Hans Jonas par Yolanda ZIAKA | |
Le philosophe allemand Hans Jonas, dans son livre « le principe responsabilité », publié en 1979, plaide pour l’extrême urgence de nous doter d’une « éthique pour la civilisation technologique », qui serait basée sur « le principe responsabilité ». Sa thèse part du constat que la promesse de la technique moderne s’est inversée en une menace de catastrophe : « la science confère à l’homme des forces jamais encore connues, l’économie pousse toujours en avant dans une impulsion effrénée ». Le succès économique a démultiplié la production des biens en masse, en réduisant la quantité du travail humain requis, conduisant à la surconsommation et à un échange métabolique avec l’environnement naturel énormément accru. A l’origine des menaces actuelles se trouve la vieille idée de la domination de la nature pour l’amélioration du sort humain. Or le succès de la soumission de la nature a atteint des proportions démesurées et s’est étendu à la nature de l’homme lui-même. Selon les termes de Jonas, « le pouvoir s’est rendu maître de lui-même, alors que sa promesse a viré en menace et sa perspective de salut en apocalypse ». Une forme de vie, « l’homme » se trouve maintenant en état de mettre en danger toutes les autres formes de vie (et également la sienne). A l’ampleur des effets à long terme de l’action humaine, il faut ajouter leur irréversibilité. Ce que l’homme peut faire aujourd’hui n’a pas son équivalent dans l’expérience passée. Nous avons besoin d’une éthique de l’état de crise, une éthique de la responsabilité, de la conservation, de la préservation. L’éthique traditionnelle, qui régit des rapports des êtres humains entre eux, ne peut plus nous instruire sur les normes du « bien » et du « mal », auxquelles nous devons nous soumettre. Dans le cadre de cette éthique, la nature ne constituait pas un objet de responsabilité humaine. Elle prenait soin d’elle-même ainsi que de l’homme.
Au moment où l’avenir même de l’humanité est menacé, l’éthique de la responsabilité résulte en une obligation envers l’existence humaine : « l’homme doit être » et mener une vie digne d’être appelée humaine. L’avenir de la nature est compris comme condition sine qua non de cette obligation : « l’intérêt de l’homme coïncide avec celui du reste de la vie qui est sa patrie terrestre au sens le plus sublime du mot ». La préservation de la nature est la condition de notre propre survie. Ainsi, nous pouvons parler de « l’obligation pour l’homme », pour nous référer aux deux obligations - à l’égard de l’homme et à l’égard de la nature - qui sont intrinsèquement liées. Mais encore, la solidarité de destin entre l’homme et la nature (dont nous avons pris conscience à travers le danger) nous fait également redécouvrir la dignité autonome de la nature et nous commande de respecter son intégrité par-delà l’aspect utilitaire. Jonas s’applique à démontrer les contradictions internes et les limites du rêve utopique de l’affranchissement de l’homme de la servitude des besoins, poursuivi de la même ardeur tant par les tenants de la suprématie du « progrès » économique, technique et scientifique, que par le courant marxiste. Ainsi, une bonne partie de ce livre est consacrée à la critique de l’utopie. Comme il souligne, cette critique ne sert pas tellement à la réfutation d’une erreur de pensée, mais à fonder son alternative, qui n’est rien d’autre qu’une « éthique de la responsabilité ». Jonas passe en revue les atteintes actuelles à la nature de l’homme (comme la question de la manipulation génétique), ainsi que les défis écologiques de notre temps, fruits des choix technologiques : la question de la nourriture pour une population mondiale qui se multiplie de manière exponentielle, le pillage des réserves naturelles finies, la contamination chimique des eaux, la salinisation du sol, l’érosion, la modification du climat. Son analyse aboutit à la question de l’énergie, base de toutes les activités humaines, pour arriver à la question du danger que représente le réchauffement de la planète. Jonas explique ainsi que l’utopie se heurte à la physique : « la question n’est donc pas de savoir combien l’homme sera encore à même de faire, mais celle de savoir ce que la nature peut supporter. Personne ne doute aujourd’hui qu’il y a ici des limites de tolérance... » Vingt-cinq années après ce constat, nous voyons que les questions soulevées par Jonas demeurent d’actualité. Jonas se fait déjà, aux années ’70, le précurseur du « principe de la précaution », que l’on voit récemment apparaitre dans les textes législatifs au niveau supranational (Résolutions et autres documents de l’Union Européenne), ainsi que dans des documents divers (Charte des responsabilités humaines, Charte de la Terre). Jonas remarque que, en ce qui concerne les rapports entre l’humanité et la nature, la complexité énorme des interdépendances fait que l’incertitude devient notre destin permanent. La science ne peut pas offrir des résultats fermes. Devant cette incertitude et compte tenu de l’irréversibilité de certains des processus déclenchés par les choix technologiques, la « voix de la prudence à long terme » est l’impératif primordial de la responsabilité. Jonas fournit ainsi une argumentation conséquente pour l’adoption d’un « principe de la précaution ». Jonas évalue les chances de maitriser le danger technologique et l’aptitude des systèmes politiques en place à cette époque à réussir à empêcher une catastrophe de l’humanité sous la domination de la poussée technologique. La question est de savoir comment on peut « conserver l’humanité dans une époque de crise imminente ». Comment servir le bien-être matériel, tout en économisant davantage les réserves naturelles et en évitant la dégradation (ou encore la catastrophe) environnementale ? Il s’agirait de réduire le niveau de vie dans les sociétés les plus économiquement développées, en faveur du rétablissement de la balance internationale de la répartition des ressources. Cela est nécessaire compte tenu de la dimension mondiale des problèmes et de l’inégalité territoriale des richesses naturelles. Il s’agirait de rompre avec la vie en abondance (basée sur un « gaspillage démentiel »), sur laquelle les sociétés industrialisées ont été bâties et qui sert d’objectif pour les sociétés émergentes comme la Chine. On peut imaginer qu’un nouveau mouvement religieux de masse pourrait peut-être susciter ce changement de mentalités. Or, même en absence d’une religion exerçant une influence sur la société, une éthique devrait de toute façon exister. Ou l’on pourrait encore imaginer, s’il s’agit d’éviter la catastrophe, qu’un gouvernement totalitaire présenterait des avantages, vu que les mesures requises pour le bien commun demandent des privations et des sacrifices que les individus ne se seraient jamais imposés spontanément. Bien-sûr, tout projet d’action politique dans ce sens dépend de « ce qui a valeur de besoin » : est-ce l’éducation publique, la restauration des sites dégradés, l’armement... ? Jonas exprime le doute quant à la capacité d’un gouvernement représentatif de faire face à ces défis en suivant ces principes et procédures ordinaires. Ces principes et procédures prennent en compte seulement les intérêts actuels. C’est à eux que les autorités publiques ont des comptes à rendre : « ce qui n’existe pas n’a pas de lobby et ceux qui ne sont pas encore nés sont sans pouvoir ». Jonas ne donne pas de réponse à la question de savoir de quelle manière on pourrait arriver à affronter ces problèmes graves par un projet démocratique. Il se consacre à expliquer pourquoi la pensée marxiste (ainsi que les états communistes de son époque) n’est pas en mesure d’apporter une solution.
Référence :
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