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Publicado em 12 de abril de 2006
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Refonder nos Droits dans le dialogue des cultures - L’émergence de nouvelles responsabilités, introduction.

« Il s’agit, désormais, non plus de chercher chaque jour d’avantage à perfectionner la clef qui nous permettrait de comprendre comment fonctionne l’univers, mais de se demander comment le savoir peut créer lui-même les conditions et les instruments du savoir (…) La connaissance n’est plus celle d’un objet et de son objectivité ; elle devient, dans une perspective d’interaction entre l’objet et le sujet, connaissance d’un projet (…) » (Arnaud 2003 : 369, cf bibliographie)

« Il n’y a pas de paradigme et donc pas de conseils précis à donner a priori. Je n’ai donc rien à vous proposer, excepté peut-être de penser à la possibilité de créer un espace où la créativité puisse se développer, un espace où les solutions même partielles, relatives, petites et imparfaites, soient possibles. Cette tâche de créer un espace où de petites choses puissent croître d’elles-mêmes (et ce n’est pas un laisser-faire), s’accomplit à tous les échelons de la vie humaine. Il y a place ici pour tout le monde. » (Panikkar Raimundo) (Panikkar 1982 : 13-14, cf bibliographie)

« C’est ce qui pourrait et qui devrait être qui a besoin de nous. » (Castoriadis cité dans Brémaud 2005, page de garde, cf bibliographie)

Tout au long de cet ouvrage [1] nous avons multiplié les perspectives sur le mystère du Droit tel qu’il se reflète au miroir des différentes cultures. Si nous avons commencé par nous ouvrir à d’autres cosmovisions et à leurs pensées du Droit, nous avons ensuite tenté de montrer comment ces visions autres nous permettaient de mieux aborder la complexité des situations contemporaines et les défis émergents de l’interculturalité. Cet itinéraire entre altérité, complexité et interculturalité nous a fait prendre conscience que s’il faut veiller à ne pas tomber dans le piège culturaliste ou relativiste, on ne saurait faire l’économie d’une compréhension des visions du monde et logiques sous-jacentes à différentes formes de juridicité pour repenser nos Droits de manière dynamique à l’aune des défis contemporains.

Cette entreprise est certes déstabilisante. Et les réorientations qu’elle implique pour nos pensées du Droit sont l’écho dans le domaine juridique de la « fin des certitudes » (Prigogine & Stengers 2001, cf bibliographie). On peut éprouver un certain malaise, une certaine peur, voir un certain vertige en prenant conscience de l’effondrement de nos assises modernes. D’autant plus que ce qui va les remplacer n’apparaît pas clairement. La situation contemporaine révèle la fragilité de nos constructions et plus fondamentalement de nos vies. Si la Raison a pendant un temps servi de rempart contre cette fragilité, voilà que le rempart se fissure et que nous y sommes à nouveau confrontés. Et ceci non seulement en tant que juristes obligés de repenser nos outils de compréhension et d’action sur le réel, mais plus généralement en tant qu’êtres humains. Peut-être assistons-nous à l’émergence d’un nouveau mythe, dans le sens d’un nouvel horizon d’intelligibilité où le pluralisme et l’interculturalisme seraient centraux (Vachon 1997, cf bibliographie) ? Peut-être sommes-nous les témoins et les acteurs d’une transition paradigmatique qui nous mènerait hors de la « modernité » (voir par exemple de Sousa Santos 1995 ; Arnaud 1998 & 2003, cf bibliographie) ? Des épistémologies de la clarté et de la transparence font petit à petit place à des épistémologies de l’opacité où la part de mystère, d’aléa, de fragilité de nos vies trouvent leur place et où l’on assiste à une telle multiplication des tentatives de compréhension du monde que l’on peut se demander s’il est encore adéquat de parler en termes d’émergence d’un nouveau paradigme comme le faisait remarquer Jacques Vanderlinden [2]. Ne serait-on pas plutôt face à une « fin des paradigmes » ? En ce qui me concerne, il me semble que nous vivons l’émergence d’un nouvel horizon d’intelligibilité ou mythos, cet horizon invisible sur lequel nous projetons nos conceptions du réel comme le définit Panikkar (1979 : 30, cf bibliographie). Et les effets s’en font sentir au niveau du logos, de nos rationalisations et donc au niveau de nos paradigmes scientifiques [3]. Il ne faut pas oublier que dans le domaine des sciences sociales on n’a jamais été en présence de champs unifiés au niveau paradigmatique à l’instar de ce que l’on peut observer dans le cas des sciences exactes à partir desquelles Thomas Kuhn (1994, cf bibliographie) s’était évertué à dégager « la structure des révolutions scientifiques ». La référence dans ce champ à une transition paradigmatique dénote donc davantage une réorganisation différente des moyens de savoir et de leurs articulations que l’émergence d’une nouvelle théorie unifiée… et fragilité, subjectivité, pragmatisme et donc un requis de dialogue semblent bien se trouver au centre de cette conscience émergente et de ses méthodes d’appréhension du réel.

La conscience de la fragilité de la planète et de la vie humaine s’affirme. Elle s’accompagne du sentiment diffus que la « civilisation » n’est peut-être pas si civilisée... Elle concourt à détruire notre planète, à irrémédiablement épuiser ses ressources, à éteindre de nombreuses espèces et à rendre misérable la vie d’une majorité des êtres humains qui y vivent. Si nous avons eu la chance de ne pas avoir vécu encore de troisième guerre mondiale ceci ne saurait occulter que l’espoir du « plus jamais ça ! » au sortir de la deuxième guerre mondiale n’a été que très partiellement rempli : on a assisté ces dernières décennies à de nouveaux génocides… ainsi qu’à de nouvelles guerres « coloniales » se présentant comme la main armée de la Justice. À cette occasion, les mobilisations pour la Paix dans des mouvements « altermondialistes » autour de la planète, même si elles n’ont pas été écoutées, ont souligné que ces « missions civilisatrices » leurrent de moins en moins, plus l’on prend conscience de leur injustice. Parallèlement le passé se trouve éclairé d’une autre lumière, moins glorieuse pour les anciennes puissances coloniales. Tout en devant se garder de le résumer à cet aspect, on prend progressivement conscience de l’effet destructeur du projet moderne lui-même. En mettant l’homme au centre de l’univers, ce projet était dès l’origine porteur de deux tendances. D’un côté il donnait un pouvoir immense à l’homme. Celui-ci ne devenait pas simplement homo faber, artisan de son destin, mais artisan du destin du monde. La toute puissance de la Raison dont il était le maître lui conférait pratiquement un rôle de nouveau Dieu. De l’autre côté, en se coupant du cosmos, de l’univers harmonieux et ordonné de main divine, l’homme a aussi pris conscience de sa finitude et de sa fragilité… et sa confiance en la Raison l’a paradoxalement rendu conscient de sa faillibilité (voir Bauman 1993, cf bibliographie). Qu’est-il face à l’immensité de l’univers ? Qu’est-il sur la terre, cette petite poussière perdue dans le ciel étoilé ? Et même à un niveau plus « terre à terre », quels critères pour agir ? Quel sens à nos vies ?

En tant qu’occidentaux marqués par l’héritage moderne, nous sommes peut-être aujourd’hui invités à approfondir l’aspect fragile de son legs.

Les réflexions de Massimo Vogliotti sur la transformation contemporaine de la juridicité s’inscrivant dans une réflexion plus large d’un changement paradigmatique du champ juridique contemporain de la pyramide au réseau (voir Ost & van de Kerchove 2002, cf bibliographie) sont ici très à propos. Pour cet auteur, « Le déclin du paradigme traditionnel ne signifie pas la condamnation inévitable du droit à la faiblesse et à l’impuissance, qui finirait par livrer le système juridique à un état d’insécurité et de relativisme radical. Le droit n’a pas pour autant perdu sa vocation et sa capacité d’instituer le social. Au contraire nous avons essayé de montrer que la reconnaissance de la fragilité de son épistémologie et l’acceptation de la modestie de son axiologie semblent constituer la véritable force de ce droit en réseau. On a vu, d’ailleurs, qu’un paradigme trop exigeant, qui demande trop à ses forces, ne perd pas seulement sa capacité de représenter la réalité, mais, comme une cage trop stricte, finit par déformer la réalité, pour lui faire prendre des formes aberrantes, sources d’instabilité et d’insécurité. Notre hypothèse, donc, est que le fait d’assumer la fragilité du fondement du droit (…) – et d’en tirer toutes les conséquences au niveau de la pensée et de l’action – peut rendre la vie des habitants de ce droit en réseau moins incertaine que dans d’autres modèles du droit plus prétentieux, et, seulement en apparence, plus solides. » (Vogliotti 2001 : 187, cf bibliographie).

La reconnaissance de la fragilité comme fondement de l’institution de notre vie en société qui pointe vers notre finitude et vers l’importance du partage permet par ailleurs l’ouverture à « l’Autre » et constitue ainsi le fondement au dialogue interculturel. Comme le note Alain Papaux s’interrogeant sur les conséquences d’une herméneutique juridique dynamique sur la conception du droit, « Si l’homme est pénétré de et par ce jeu de l’identité et de la différence, comment le droit n’en serait-il pas ‘in-formé’ lui aussi, qui s’entend à assumer l’homme ici et maintenant, dans la société qu’il constitue avec ses semblables ? Le droit dit les règles du jeu, il oriente les joueurs qui toujours déjà le pratiquent, procédant ainsi bien moins d’en haut, du hors-jeu que se projetant d’en bas, malgré l’apparence des formules que le juste jugement doit précisément traverser pour retrouver les particuliers. (…) Les éthos, les habitus, les usages, voilà ce à quoi un droit dynamique doit prêter la plus grande attention. (…) La figure de la fusion des horizons, laquelle – nous l’avons vu avec Gadamer – est aussi bien une dialectique, une ‘dia-logique’, porte le dialogue générique du ‘même’ et de l’ ‘autre’, mouvement originel qui traverse tout le droit, tendu toujours entre stabilité et changement » (Papaux 2003 : 360-363, cf bibliographie).

Mais quel rôle peut jouer le théoricien / anthropologue du Droit dans la transition en cours face aux nouveaux enjeux ? Est-il possible d’ouvrir quelques espaces en vue d’une refondation de nos Droits de manière plus dialogale ?

Suite avec l’article Le rôle du théoricien / anthropologue du Droit face aux enjeux émergents
Voir également le site Droits de l’Homme et Dialogue Interculturel

[1] Le Droit au miroir des cultures. Pour une autre mondialisation, Eberhard Christoph, Paris, LGDJ, Col. Droit et Société, avril 2006. Le présent texte est la conclusion de ce livre, qui s’inspire partiellement du texte « Refonder notre vivre-ensemble à l’aube du troisième millénaire », du même auteur, (éd.), 2005, Droit, gouvernance et développement durable, numéro spécial des Cahiers d’Anthropologie du Droit, Paris, Karthala, 2005, 376 p (343-353).

[2] voir sur ce point nos échanges dans Vanderlinden 2002 et Eberhard 2002 & 2003, cf bibliographie

[3] Pour cette distinction entre mythos et logos entraînant une distinction entre deux niveaux de réflexion dans le domaine du Droit, la « théorisation interculturelle » et « l’approche interculturelle » voir Eberhard 2001 : 185 ss ; 2002 : 129 ss : 2003 : 19 ss. Pour d’autres réflexions illustrant l’enracinement des idées dans un habitat plus vaste et inconscient voir aussi dans une perspective un peu différente. Atlan 1986, Morin 1995 et Feyerabend 1997, cf bibliographie

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