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Publicado em 12 de abril de 2006
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Le rôle du théoricien / anthropologue du Droit face aux enjeux émergents

Si l’interrogation sur les finalités et les enjeux du Droit n’est pas nouvelle, elle prend aujourd’hui une importance particulière. On voit émerger de nouvelles formes de juridicité qui ne se laissent plus mouler dans la droite ligne de l’héritage moderne. Les juristes ont donc clairement besoin d’un regard extérieur pouvant leur permettre de reposer autrement leurs questions. Ils ne sauraient monopoliser la réflexion sur les mises en forme émergentes de notre vivre-ensemble. Pour Guy Rocher (2001 : 30 cf bibliographie), « les rapports de force et les rapports de pouvoir qui seront ceux du système-monde ne manqueront pas de déborder dans le champ juridique. Le droit sera un enjeu en même temps qu’une arme dans les luttes économiques et politiques qui s’annoncent plus dures que jamais. La mondialisation pose et posera de plus en plus de défis de normativité, engendrés à la fois par l’utilisation du droit et par l’existence de vides juridiques, qui devront faire l’objet d’analyses sociologiques approfondies. (…) Ce sont des enjeux politiques et juridiques qu’il ne faudrait pas abandonner aux seuls soins des juristes : ces enjeux ont des implications sociales de grande importance dans la vie quotidienne de millions de personnes et pour la survie de nombreux groupes humains sur tous les continents. »

En étant provocateur et avec un clin d’œil à Norbert Rouland (1993 : 295, cf bibliographie) qui conclut son ouvrage d’anthropologie juridique Aux Confins du Droit par le « tombeau de Kelsen », on pourrait affirmer que les juristes « purs » sont même les moins bien armés pour repenser ces enjeux, puisque c’est leur outillage même, leur manière de penser et d’aborder le monde qui sont de plus en plus remis en cause. Mais ce serait là une caricature faisant affront à leur intelligence et à leur expérience de ne dépeindre les juristes que comme des « juristes purs » et déconnectés du réel. Or, bien au contraire, les juristes sont confrontés tous les jours à la « vraie vie », plus peut-être que d’autres chercheurs en sciences sociales car ils ne peuvent se contenter de décrire ou de comprendre, mais doivent agir. Par ailleurs, la théorie pure du Droit s’est depuis longtemps ouverte à des approches plus « impures » en s’ouvrant aux apports des sciences sociales comme en témoigne dans le monde francophone le courant Droit & Société dans lequel s’inscrit cet ouvrage. Comment ces dernières pourraient-elles ignorer les leçons du Droit ? Dans le dialogue interdisciplinaire sur les enjeux contemporains de l’organisation du vivre-ensemble, que ce soit à des niveaux plus globaux ou locaux, comment se passer du juriste ? Si ses outils ne sont peut-être plus tout à fait adaptés, le juriste reste dans la tradition occidentale qui s’est exportée sur toute la planète, celui qui a depuis toujours été confronté à la délicate question de la mise en forme du vivre ensemble et de la résolution des conflits. Il n’est pas anecdotique que les fondateurs de l’anthropologie étaient pour grande partie des juristes qui à partir de leur expérience du Droit ont tenté de comprendre l’homme en société. Le juriste a donc une expérience indéniable dont il faut savoir tirer profit et l’occasion lui est peut-être donnée aujourd’hui de redécouvrir le droit comme ars aequi et boni ayant pour fonction d’instituer la vie, vitam instituere, pour reprendre ces belles formules latines, plutôt que de se cantonner dans un rôle de technicien et de spécialiste [1]. L’anthropologue, par un juste retour de pendule, pourra l’y aider [2].

Et ceci d’autant plus que si la situation présente demande un dialogue interdisciplinaire entre droit et sciences sociales, elle exige aussi un dialogue interculturel. Si les formes modernes du politique, du juridique et de l’économique sont devenues une réalité indéniable dans le monde entier, elles n’ont cependant pas éradiqué d’autres manières de concevoir et de vivre le monde et sa mise en forme. Loin d’être une faillite, cet état de fait pourrait bien se révéler un fantastique atout dans les réflexions actuelles qui se demandent si « un autre monde est possible » ? Les transferts institutionnels modernes ont connu un succès plus ou moins grand dans les ex-colonies européennes. La transition vers des approches plus sensibles à la fragilité, à l’incertitude et à l’importance du dialogue, pourrait permettre de contribuer à sortir de l’occidentalocentrisme qui demeure la règle pour s’orienter vers une globalisation plus pluraliste, fondée sur une éthique du partage et de la complémentarité des différences plutôt que sur l’imposition d’un modèle perçu à partir des centres du pouvoir comme devant ou ayant accédé de manière « naturelle » à l’universel. Si les mythes modernes chancellent en Occident, nous obligeant à repenser nos droits pour une époque post-, voire transmoderne, cette remise en question libère parallèlement la réflexion sur l’organisation juridique des ex-colonies européennes. Rappelons que le transfert des modèles juridiques occidentaux vers ses anciennes colonies a eu des résultats divers, mais on ne peut pas dire que de manière générale ce fut un franc succès. Loin de là. Mais peut-être cet échec est-il aussi un atout si on a conscience qu’à travers l’exportation des modèles juridiques on a aussi exporté toute une mise en forme particulière de la vie en société sous le couvert de la « civilisation ». De ce point de vue, on peut suivre Étienne Le Roy (2005 : 183 cf bibliographie) qui ne se désole pas « de la déroute, espérée depuis longtemps, d’une modernité occidentale qui, sur le continent africain et en association avec l’idéologie du progrès, de l’évolution, de la supériorité de la civilisation industrielle etc. a été l’instrument d’une aliénation des sociétés, au sens étymologique de rendre étranger, dans le cas de se rendre étranger à soi-même». Une porte s’ouvre peut-être aujourd’hui permettant de refonder les expériences juridiques des diverses sociétés de notre monde sur des bases plus endogènes [3] ?

Suite avec l’article Enjeux pour une refondation du Droit

[1] Ces remarques s’éclairent par les analyses de Pierre Legendre. Voir plus particulièrement Legendre 1985 : 13 ss et 1999 : 209 ss, cf bibliographie.

[2] Voir dans ce contexte Donovan & Anderson 2003 et le numéro joint des Cahiers d’anthropologie du Droit et de Droit et Cultures, Anthropologie et Droit. Intersections et confrontations, Paris, Karthala, 2004, 384 p

[3] voir par exemple Le Roy 2004 et les diverses contributions sur cette question regroupées dans Eberhard 2005

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