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Published on 10 December 2005
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Diffusion de la Charte en Grèce : la responsabilité selon Aristophane

Nous présentons ici le compte rendu de l’interview d’une enseignante grecque, Maria. Elle enseigne la philosophie et les lettres, elle a quarante ans, elle est mariée et mère d’un enfant de cinq ans. La discussion a tourné autour des questions du questionnaire préparé par l’équipe européenne de la Charte.

Sur la question de savoir si elle se sent responsable pour les défis du monde contemporain, tels que la guerre en Irak, la pollution et autres, elle nous répond par une allégorie. Elle nous rappelle Promethée qui a assumé la responsabilité pour toute une société et toute une civilisation. Cependant, nous devons prendre en compte les conditions historiques spécifiques de cette époque. Aujourd’hui, nous parlons d’environnement, d’énergie atomique, de problèmes économiques, de problèmes de rapports humains. On vit dans un état de globalisation. Cela signifie qu’on doit réfléchir sur des problèmes qui touchent la planète entière. Elle poursuit : « Si je devais me sentir responsable pour tout cela, je serais anéantie sous le poids de ces problèmes ». Il est logique qu’on arrive à un point où on se dit : « ce n’est pas moi qui vais sauver l’humanité ».

Maria croit que la seule issue est de se sensibiliser et de réfléchir sur les questions de son environnement immédiat, son « micro-cosmos ». C’est à partir de ce niveau que l’on peut assumer la responsabilité pour la planète entière. En tant que personne, elle ne peut pas devenir activiste dans aucune sorte d’organisation. Ce qu’elle essaie est d’assumer les responsabilités du niveau de son environnement immédiat, c’est-à-dire, par exemple, pour tout ce qui touche son enfant. Ceci n’est pas de l’égoïsme, ceci n’est pas un repliement à la vie individuelle. Elle nous donne un autre exemple pour expliquer qu’il est tout à fait possible d’agir dans sa vie quotidienne, en influençant toute la société. Récemment, en suivant la représentation théâtrale de la pièce de Aristophane, « Thesmophoriazouses », elle a entendu une affirmation de Aristophane relative à la prise de responsabilité au niveau quotidien. Les femmes (que l’autre grand poète de cette époque, Euripides, méprisait), Aristophane les présente prêter serment, en disant : « je promets de ne pas donner naissance et éléver un enfant qui risque de devenir, un jour, un tyran ». Pour notre époque, on pourrait dire de la même manière : « je promets de ne pas donner naissance à un enfant qui soutiendra la guerre, qui recevra des pots de vin, etc. ».

C’est au niveau de la famille, qui est le noyau et la cellule sociale primordiale, où l’on peut agir en assumant ses responsabilités. Il est sûr que ce noyau sera influencé par tous les autres noyaux de la société. Mais, ce noyau influencera, à son tour, la société. Elle nous dit : « Je peux éduquer mon enfant pour qu’il s’implique dans une action plus étendue par rapport à ce que j’ai pu faire moi-même. Je suis sûre que je ne pourrai jamais « sauver l’humanité », mais, de cette manière, je peux y contribuer. L’activisme peut donc commencer par les quatre murs de notre maison.

Même dans sa vie quotidienne, chacun de nous doit de toutes façons assumer des responsabilités à différents niveaux : responsabilité de mère, d’épouse, de femme travailleuse, la responsabilité envers les générations antérieures. Il s’agit toujours d’une responsabilité envers les autres êtres humains, tout d’abord envers ces personnes les plus proches de nous. On a encore, la responsabilité pour des questions simples, comme le fait que vivant dans un immeuble on a une responsabilité envers les autres colocataires, envers les lieux communs. Un exemple d’action de ce type qu’elle a entreprise est son mobilisation pour l’amélioration des conditions de fonctionnement de la crèche de son enfant.

En essayant d’expliquer pourquoi elle ne s’est pas impliquée dans une lutte sociale, Maria nous dit que l’on devrait d’abord trouver un équilibre dans toutes ces sortes de responsabilités avant de s’impliquer dans une autre sorte d’action. Selon elle, c’est sûrement aussi une affaire de personnalité, où l’on voit que certaines personnes ont le potentiel de s’impliquer dans plusieures luttes à la fois. C’est aussi une affaire d’objectifs que l’on se donne, ambitieux ou médiocres. Si on est content avec de tout petits avancements dans chaque domaine où l’on s’implique, on peut s’impliquer à plusieurs luttes à la fois. Enfin, tout dépend des conditions de la société odans laquelle on vit : si on vivait dans un pays en état de guerre, dans un pays où l’on manque de la nourriture, on aurait d’autres types de responsabilités. Chez nous, on a de quoi vivre, on se préoccupe alors de questions comme la qualité du système éducatif etc.

Concernant le projet de la diffusion de la Charte, Maria trouve que c’est une très bonne initiative. Concernant le texte de la Charte, Maria est, à première vue, d’accord avec tous les principes présentés, tout en remarquant qu’il lui faudrait réfléchir beaucoup afin de comprendre la signification réelle de chacun et d’émettre ses remarques. Maria considère que la Charte pourrait être un outil efficace de sensibilisation et de mise en débat. Nous avons un grand besoin de sensibiliser les gens autour de nous, de leur faire prendre conscience des défis du monde contemporain. C’est d’ailleurs ce qu’elle essaye de faire avec ses élèves du lycée, en leur donnant à lire des textes présentant des questions conflictuelles, où plusieurs valeurs entrent en jeu et en demandant aux élèves de s’exprimer sur ces questions. Il faut remarquer qu’en faisant cela, elle sort du programme officiel de l’enseignement, mais elle le considère nécessaire afin d’amener les enfants à réfléchir.

Elle considère que la Charte ne peut pas amener des grands changements au niveau institutionnel. Il serait illusoire de penser que la Charte, une fois adoptée par des grandes institutions et organismes, amènerait des changements réels. Il est plus réaliste - et plus souhaitable - de se pencher sur l’adoption de la Charte par certains milieux professionnels. De toutes façons, même à ce niveau, tout passe par la sensibilisation de chaque individu. Il serait donc plus judicieux de considérer la Charte comme un outil de sensibilisation, tout juste.

Maria, en insistant sur la grande valeur de la prise de responsabilité dans la vie quotidienne, personnelle et professionnelle, apporte une optique très intéressante dans le débat autour de la responsabilité. En fait, nous devrions faire attention, en approchant les gens que nous souhaitons sensibiliser, à ne pas insinuer l’idée que seule la lutte sociale organisée est valable et à ne pas dévaloriser l’action au niveau quotidien. Il est probable que la présentation de la Charte et de la mobilisation internationale autour d’elle, ainsi que notre propre questionnaire, tel qu’il est conçu, provoquent une malaise chez nos interlocuteurs et les amènent à essayer de se justifier pour le fait qu’ils ne sont pas engagés dans des groupes de lutte organisés.
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